Je suis architecte.
J'étudie trop pour une profession où on apprend plus à la pratique, mais j'effleure quand même le travail, ici et là, maintenant à Tokyo, hier à Hanoi, au Vietnam.
Au Japon, c'est impossible de recevoir la moindre reconnaissance pour notre valeur professionnelle si on ne parle pas le japonais. Il faut plutôt apprendre à mettre notre sens critique à zéro, entrainer nos mains à accomplir des tâches comme le font les machines, tout en posant le moins de questions possible. Comme ça on nous fait bien comprendre que ça ne requérait effectivement aucune aptitude linguistique pour bosser chez les nippons. Je ne m'étalerai pas sur le Japon pour l’instant, mais pour des références sur les limites de l’amertume en sol asiatique, voir Stupeur et Tremblements (1999) d’Amélie Nothomb, ou bien sûr, Lost in Translation (2003) de Sofia Coppola.
Je choisis plutôt ici le Vietnam pour illustrer les quelques détours d’une langue étrangère dans la vie d'un jeune professionnel.
AH ! Le Vietnam.
J’y parle vietnamien, mais très modestement.
Je peux surtout y parler l’anglais avec une portée confortable. Ça fonctionne.
Mais je suis avant tout francophone. Et c’est là que ça devient rigolo.
L’architecture autre que celle vernaculaire (disons l’architecture au sens Beaux-Arts du terme) n’est pas réellement apparue au Vietnam avant que les français colonisent la région dans la deuxième moitié du 19e. Croyez moi, ceci est un billet qui essaie aussi d’être léger, je me permets donc quelques sauts chronologiques, pour dire qu’il existe au Vietnam toute une génération d’architectes (et donc de bâtiments) qui sont d’héritage « École des Beaux-Arts de Paris ». À un moment, le seul sceau d’architecte qui était valide était celui français. On gardait ainsi un bon contrôle sur la production architecturale. Les quelques pionniers vietnamiens qui ont pu aller étudier à Paris l’ont fait au moment où l’architecture mondiale passait de la « lourdeur » Beaux-Arts à la « légèreté » moderniste: un style international, avec des nouveaux procédés constructifs, des nouveaux outils, des nouveaux types de matériaux, des nouvelles technologies.
Que se passe-t-il alors, quand il faut trouver le vocabulaire pour cette nouveauté technique, dans une langue déjà à la portée du colonialisme ?
Vocabulaire Vietnamien … | … en Français |
| |
Bê tông | Béton |
Xi măng | Ciment |
Vít | Vis |
Tuốc nơ vít | Tournevis |
Ê cu | Écrou |
Bù loong | Boulon |
Cờ lê / mỏ lét | Clé à molette |
Cáp | Câble |
Ê ke | Équerre |
Com pa | Compas |
Mét | Mètre |
Lít | Litre |
Am pe | Ampère |
Đúp | Double |
Ga | Gare |
Xi lanh | Cylindre |
Cao su | Caoutchouc |
Vẹc ni | Vernis |
Amiăng | Amiante |
A xít | Acide |
Ca rô | Carreau |
Bi đông | Bidon |
Ba lô | Ballot |
Phin | Filtre |
Pin | Pile (batterie) |
Van | Valve |
Ăng ten | Antenne |
Côngtenơ | Conteneur |
… | … |
Lơ Cot-Buy-Giê | Le Corbusier |
Ép phen | Eiffel |
Ác si mét | Archimède |
… | … |
Et aussi pour la vie de tous les jours :
Gia nã đại | Canada |
Giăm bông | Jambon |
Kem | Crème glacée |
Xà phòng | Savon |
Phó mát | Fromage |
Cát xét | Cassette |
Sôcôla | Chocolat |
Bích quy | Biscuit |
Je ne connaissais que quelques mots, qui résonnent couramment dans le vocabulaire de tous les jours, mais je me suis aidé ici d’une liste relativement exhaustive trouvée sur un blog de jeune vietnamien. En bout de ligne, on y perd toutes idées de Beaux-Arts et même d'architecture. On bascule presque dans le "garagisme". Peu importe.
Dans toutes les langues, il y a beaucoup de mots en provenance des nouvelles technologies qui évidemment ont été internationalisés, mais ils sont presque toujours tirés de l’anglais.
Par exemple, cette semaine, j’apprenais à écrire en japonais (non, il n'est pas question du jeu de mots j'apprenais-japonais) :
コンピュータ, konpyuuta, computer, ordinateur.
Mais le degré d’étrange augmente quand, à l’autre bout de la planète, les mots de la vie courante sont empruntés au français, plutôt qu'à l'anglais. Ceci, bien sûr, dans la perspective qu’un héritage colonial infligé à un peuple puisse nous amuser, quand, quelques décennies plus tard, tout le monde est rentré chez lui.
Ça pourrait faire un beau jeu dans les partys de Noël : « Hey ! Devine qu’est-ce que le Viet raconte ! ».
Cô nhắc | ____________________________ |
Pê đê | ____________________________ |
Ca pốt | ____________________________ |
Xu chiêng | ____________________________ |
** Cognac – Homosexuel – Condom – Soutien-gorge
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